lundi 6 décembre 2010

Des tabous en éducation?

Je prends quelques minutes pour reproduire ici le commentaire que j'ai rédigé chez le Professeur Masqué en réponse aux interventions entourant le "test inapproprié" qu'aurait fait passer une enseignante de la Rive-Sud à ses élèves.

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Tout se dit, mais il y a une manière pour le dire.

Je viens d'une famille où on discute de tout. À l'adolescence, mes amis ont bien apprécié les soirées passées à discuter tous ensemble avec mes parents, alors qu'ils ne trouvaient que peu de réponses ou de démarches cognitives encadrantes pour en trouver dans le confort de leur propre foyer.

Sans être un expert en matière de relations interpersonnelles ou de sexualité, c'est cette posture épistémologique, à mon avis essentielle, qui fait que j'aborde ces mêmes thèmes (et bien d'autres!) avec mes élèves à chaque année, depuis bientôt dix ans. Que j'enseigne en 1re secondaire, en 5e ou au cégep, ces discussions sont TOUJOURS bienvenues. Les élèves m'en remercient à chaque fois.

Comprenez-moi bien! Le but, ce n'est pas de les endoctriner ou de leur passer de fausses perceptions. Le but, c'est de les amener à réfléchir et à développer leur jugement, de les outiller de manière à ce qu'ils puissent apprendre à se connaître et à faire des choix éclairés dans toutes les sphères de leurs vies.

Évidemment, on ne peut pas s'attendre à ce que tous les enseignants soient à l'aise d'aborder ces questions, alors qu'ils ne sont pas à l'aise d'en discuter eux-mêmes. Là encore, chaque enseignant doit se connaître... et savoir discuter! Tout est une question d'approche. C'est d'ailleurs ce qui fait que même certains spécialistes de la sexualité n'arrivent pas à bien traiter ces questions en classe.

On parle de sexualité... ce n'est là qu'un des nombreux sujets sensibles ou tabous que j'aborde en cours d'année. J'en parle ouvertement à la réunion de parents en début d'année. J'en parle ouvertement à mes élèves aussi. Je leur dit essentiellement que s'ils ne sont pas à l'aise avec l'un des thèmes traités, avec une des questions que je pose ou avec un commentaire que j'émets, ils peuvent m'en parler individuellement. Cependant, dans un monde idéal, je préférerais qu'ils lèvent la main et le mentionnent. D'abord, leur geste me permettra d’approfondir la question avec l'ensemble du groupe, mais surtout, elle permettra à l'élève de voir qu'il ou elle n'est pas seul(e) à penser ainsi ou à être mal à l'aise avec la situation. Il s'ensuit généralement des discussions plus formatrices que bien d'autres parce que réellement pertinentes.

Cette approche leur permet aussi d'avoir un espace ouvert pour s'exprimer sans peur d'être ridiculisés, en plus de leur permettre de confronter, de comparer et de discuter les points de vue de leurs ami(e)s qu'ils croyaient parfois bien connaître.

En général, les parents me remercient en fin d'année d'avoir ainsi osé traiter de ces sujets. Mes interventions et les réflexions du groupe font leur chemin jusqu'à la maison et nourrissent d'autres réflexions ou animent les discussions autour de la table au souper.

Bien sûr, certains parents sont déjà venus me voir pour se plaindre. Malheureusement pour eux, la démarche présentée ci-haut a ceci de génial, elle est on ne peut plus pédagogique... et bien menée. Si on ajoute à cela que ce qui crée la grande majorité des problèmes dans la société, ce sont justement les tabous et les manques de communication... il ne leur reste plus beaucoup d'arguments.

Les élèves quant à eux comprennent bien vite la pertinence de l'exercice. Surtout quand ils réalisent que peu importe qu'ils aient une sexualité active et follement débridée ou qu'ils aient le sujet en aversion, la sexualité fait partie de la vie et ils devront tôt ou tard se positionner par rapport à celle-ci... peu importe les choix qu'ils feront. L'important, c'est justement qu'ILS fassent un ou des choix éclairés et qu'ILS soient à l’aise avec celui-ci ou ceux-ci.

Bref, je peux comprendre que la prof en question n'ait jamais pensé faire d'appel aux parents. La démarche cognitive qu'elle supporte paraît si évidente que je suis même surpris de voir des gens s'y opposer ici.

Ceci étant dit, la principale erreur dans cette histoire revient à mon avis à la direction, qui n'a pas su rassurer les parents quant au bien fondé, que dis-je, à la nécessité de cette démarche dans le cadre de la formation d'adultes responsables et dotés d'un regard critique sur la vie.

En terminant, que dire des directions qui se sont prononcées sur la teneur des questions présentées ou des gens qui s'en sont outrés? Voilà bien longtemps qu'ils n'ont pas mis les pieds dans une classe ou qu'ils n'ont pas côtoyé de jeunes d'âge secondaire.

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Le vrai scandale, c'est qu'on cherche à reproduire des tabous au sein même de l'institution qui a pour rôle de les éradiquer.

1 commentaire:

Demoiselle enseignante a dit…

Le contact enseignant-élève est privilégié. Le lien de confiance qui se crée peut devenir très propice à certains questionnements de la part des élèves. Il faut simplement savoir jusqu'où on est à l'aise avec le sujet et, si nous le sommes, il faut répondre à leurs questions. C'est notre rôle d'être "héritiers du savoir". Les jeunes ont le courage de nous poser ce type de questions, c'est à nous de démontrer qu'ils ont raison de nous faire confiance. C'est notre rôle, en tant qu'enseignant, de répondre à leurs questions, peu importe la nature de celles-ci. Par contre, si on ne se sent pas à l'aise avec les questions, il est important de référer les jeunes à des personnes ressources en qui ils ont confiance, qui seraient aptes à leur répondre. Nous ne devons pas les laisser sans réponse.